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Préface – Réveillez-moi

Jean-Sébastien Lozeau est ce qu’on peut appeler un « beau garçon ».

Je le côtoie au travail où il réalise la postproduction de certaines émissions que je produis ou anime. Au fil de brèves conversations en régie ou en salle de montage, je saisis qu’il fait également partie d’un groupe de musique. Engagé politiquement et poétiquement, Jean-Sébastien incarne le trentenaire heureux, poli et cultivé. Bref, un collègue de travail apprécié comme plusieurs autres avec qui j’ai la chance de travailler.

Or, un soir, très, très tard, après un tournage, il me remet le scénario d’un film qu’il a signé et qui s’intitule Le Livre Rouge.

Pour moi, c’est pénible. Déjà, je trouve le titre super nul.  Je vais être obligée de le lire par politesse alors que je suis débordée  et, en plus, je n’y connais rien en cinéma donc je me prépare au pire…

J’arrive chez moi et, pour m’aider à m’endormir après l’adrénaline de mon tournage, je me mets à la lecture du scénario, pensant que cela ferait un bon somnifère.

J’entre alors dans la vie d’un petit garçon de 5 ans dont la mère devient Témoin de Jéhovah. Je dévore les pages très réalistes empreintes de douleur. Je suis plongée au cœur d’une  fiction sur un sujet tabou. Je comprends que Le Livre Rouge, c’est la Bible des Témoins de Jéhovah.

Je le lis d’une traite.

Le lendemain, je demande à Jean-Sébastien comment  il s’est documenté sur les Témoins de Jéhovah. A-t-il fait des entrevues ? A-t-il engagé une documentaliste ? A-t-il rencontré des ex-Témoins qui lui ont confié  leurs  tourments ? Je suis estomaquée par l’histoire mais aussi par le réalisme de son œuvre. Je comprends le scénario comme une fiction basée sur une recherche approfondie sur cette triste réalité.

Et Jean-Sébastien me répond : « C’est mon histoire. »

Et moi, les jambes molles, la bouche ouverte comme s’il venait de m’annoncer qu’il allait devenir danseur au 281, j’encaisse le coup. Je n’en reviens pas. Je ne pensais pas que ça ressemblait à ça, un ex-cogneur aux portes du matin !

Le garçon raffiné devant moi revient de loin, de très loin, d’un endroit où jamais les enfants ne devraient être amenés. Pauvre petit, si tu fais un film ça va prendre des années avant qu’il soit à l’écran, plusieurs intervenants vont modifier ceci ou cela. On t’a volé ton enfance, sauve-toi avec ton histoire. Fais d’abord un livre qui n’appartiendra qu’à toi et qu’à ceux qui te liront.

Fais ce livre, Jean-Sébastien, pour le petit qui revient de l’enfer.

Fais ce livre, Jean-Sébastien, pour ceux qui y sont encore ou qui tentent de s’en sortir.

Fais ce livre, Jean-Sébastien, pour nous donner une leçon de vie et de survie.

Fais ce livre, Jean-Sébastien, pour cesser d’hésiter quand tu parles.

Fais ce livre, Jean-Sébastien, pour qu’on prenne conscience.

Fais ce livre, Jean-Sébastien, pour nous montrer comment ta douleur module si bien les mots.

Ce livre nous fera du bien. Et ça, personne ne nous le volera.

 

Julie Snyder